Julie et Eloïse se rencontrent pour la première fois en 2019 lors d’un atelier in situ à la Presqu’île intitulé Violente paix. 5 ans plus tard, elles se retrouvent avec l’envie commune de faire ensemble. C’est aussi un constat commun qui les rassemble : leur corps changent. Celui de Julie Arménio sort d’une blessure, celui d’Eloïse Bourgeon se transforme avec sa transition de genre. Comment continuer à se mettre en mouvement alors que leur corps changent ? Comment faire avec l’état respectif de ces deux corps ? Comment continuer à danser avec un corps si beau et si imparfait ? Quels outils mettrent en place ? Tout simplement, comment faire face ? C’est en s’apportant support et soutien qu’elles souhaitent y répondre. Trouver des chemins détournés, faire avec ses capacités, s’accepter à l’instant T comme elles sont.
Une porosité entre artistes
Nous voulons explorer tous les espaces où les corps et les lieux entrent en friction et où notre peau n’est pas qu’une membrane qui serait frontière mais plutôt comme une autre façon de voir le monde. Cela passe par l’accessibilité à l’art en rendant le plus proche et le plus compréhensible possible nos démarches de création. Nos œuvres sont un médium entre nous et le monde, et en tant qu’artistes, c’est nous qui faisons médiation. En vivant dans un monde troublé, il nous faut développer un autre rapport à soi et au monde pour que d’autres manières d’éprouver le futur puissent surgir, ce qui ne se fera pas sans l’art et la poésie. Notre démarche ne peut qu’être politique, en marge, alors que nous défendons un féminisme radical queer anti-colonial, anti-carcéral et qui questionne les rapport de classes, de privilèges et d’oppressions. Nous avons appris à être disponible et à l’écoute de nos corps et des lieux qui nous entourent. C’est grâce à notre peau que nous entendons, que nous ressentons et que nous dansons le monde. Nous trouvons de l’émerveillement dans les petites choses du quotidien faisant d’elles des possibles à saisir. Nous mettons en avant la “peauélitique” des lieux et des corps ou comment la peau raconte-t-elle la poésie et la politique de nos existences et des espaces que nous habitons ?
« Dans ses palpitations, aux creux même de ses ondoiements, la peau devient le territoire où de multiples intensités parcourent le corps; pas d’origine, pas de fin, pas de codes, simplement le déploiement d’une coexistence de mondes à vivre, et à faire vivre, dans le présent de la présentation. »*
Art déclencheur
Ru’elles invite à découvrir un art déclencheur terrain fertile d’une recherche-création et action par le mouvement des corps et la résonance des voix. Parce que la rue et les corps sont en proie au conformisme et qu’il s’y joue des rapports de domination, le collectif agit. Les identités de genre, de classe et de couleurs sont analysées comme un ensemble de masques, de costumes et de gestes prescrits que chacun et chacune de nous répète avec minutie. Il importe de les détourner pour les questionner, de rendre visible l’inégalité des rôles et de perturber les usages de nos lieux communs. Cet art déclencheur donne des armes aux corps et aux discours. La société est un spectacle que nous pouvons transformer. Partir de nos vécus, de nos expériences singulières et partagées afin de révéler, agir et (se) transformer. C’est en insistant non pas sur le dualisme opprimé/oppresseur mais sur le processus de conscientisation et de réaction de la part des spectateur·trice·s. Ru’Elles ne prend pas l’espace de la performance comme synonyme d’un lieu inscrit et défini mais bien comme un outil artistique au service de toutes et tous, afin de retrouver une capacité d’action sur les évolutions de notre société.
« Déclencher, c’est ouvrir la clenche, ôter le mécanisme qui bloque l’accès à l’extérieur. Déclencher en soi et hors de soi, c’est se donner la possibilité de rencontrer l’autre autrement et d’entamer le dialogue sur l’absurdité du monde. »
Julie Arménio – Je souhaite créer une porosité entre art et vie de la ville. Ce que je propose, c’est un échange réciproque entre poésie et quotidien. M’ancrer dans un lieu me permet de questionner les futurs possibles. Il faut apprendre à écouter et à éprouver ce lieu avant de l’investir. J’aime questionner l’androcentrisme**. En tant qu’artiste, j’essaye de nous décentrer en pluralisant les récits, les usages et donc nos façons de faire monde. C’est pour moi un des enjeux de notre époque troublée. Il m’est urgent de créer des dissonances, un vent contraire au storytelling ambiant. Plus largement, je perçois mon travail comme un support pour la recherche et l’action politique. S’il échappe à la tentative explicative et de démonstration, mon rôle d’artiste est aussi de créer des outils pour percevoir et comprendre nos urbanités. Ces derniers peuvent être au service d’enquête sensible et produire du savoir appropriable par les habitant·e·s, par les universitaires et par les concepteur·trice·s d’espace.
« Alors que nous luttons pour obtenir des droits sur nos propres corps, ces corps pour lesquels nous luttons ne sont presque jamais exclusivement les nôtres. (…) Mon corps est et n’est pas le mien. Offert aux autres depuis la naissance, portant leur empreinte, formé au creuset de la vie sociale, le corps ne devient que plus tard, et avec une certaine incertitude, ce dont je revendique l’appartenance. »***
PERFORMANCE
DANS ET POUR LE LIEU
S’ancrer intimement en un lieu, le considérer, l’éprouver, s’y accorder… et créer dans et pour lui. Dans l’intention de révéler la « poélitique » des lieux. Espace habité, oublié, invisible, utilisé, contenant des traces de la grande et petite histoire… Espace non dédié à l’art, nous souhaitons te rencontrer. Vous voulez impulser cette rencontre ? Invitez-nous !
Eloïse Bourgeon – Trouver de la liberté dans la contrainte est l’un des enjeux phares de ma recherche artistique. Je mets en jeu physiquement mon corps pour révéler ses parties implicites et ses imperfections. Mes pratiques de la pole dance, de la danse en talons, du shibari en tant que modèle suspendue m’obligent à garder un certain tonus, à me rendre disponible pour évaluer au mieux mes sensations, à garder le contrôle sur mon corps. Je dois réguler mon souffle et calmer mon rythme cardiaque, contracter certains muscles et en relâcher conjointement d’autres, passer outre la douleur. A cet instant donné, il m’est impossible de mentir, toutes expressions se montrent à l’état brut. Ce sont les rapports de force qui m’intéressent. Nos corps sont des réceptacles de nos traumatismes passés, des sujets politiques, des objets singuliers. Il est vital pour moi de révéler la peauélitique de nos corps.
« Au centre, bien sûr et toujours : le corps, lieu du carrefour des affaires humaines, véritable milieu intérieur et extérieur à la fois. Tissant des connivences, l’humain, pour exister, met sans cesse en œuvre un projet spatial, une « géographie de relations » par laquelle son rapport au monde se ramifie. » ****
PERFORMANCE
DANS ET AVEC NOS CORPS
S’ancrer intimement dans son corps, le considérer, l’éprouver, s’y accorder… et créer avec et pour lui dans l’intention de révéler la « poélitique » de nos corps. Corps habités, oubliés, invisibilisés, utilisés, contenant des traces de la grande et de la petite histoire… Corps non dédié à l’art, nous souhaitons te rencontrer. Vous voulez impulser cette rencontre ? Invitez-nous !
*Roland Huesca, La danse des orifices, Etude sur la nudité, Nouvelles éditions Jean-Michel Place, 2015p 52
**l’androcentrisme est un mode de pensée, consistant à envisager le monde en majeure partie du point de vue des êtres humains de sexe masculin
***Roland Huesca, « Nudités : les « utopiques » du corps et de la peau », Agôn, 2010, en ligne le 01 février 2011
****Judith Butler, Défaire le genre