Rurbanité

Rurbanité : création in situ 2021

Application de notre démarche de construction d’une performance avec l’ici, le moment et vous. Elle est faite de la rencontre avec objet et sujet (voir détails plus bas), puis d’une immersion nourrie d’une préparation de la pensée, des émotions et du physique. Performance de Julie Arménio.

Contexte

La compagnie Naüm et La Cuivrerie impulsent un festival nommé Fête comme chez vous à l’intérieur duquel elles ouvrent un espace de résidence pour 6 artistes pendant 5 jours. Les trois premiers jours sont consacrés à la préparation en résidence. Les sixième et septième jours ont lieu les représentations. Nous avons comme seule consigne une carte blanche sur lequel au verso il est écrit de créer à partir d’un lieu choisi, durée finale 15 min, bienvenue !

Affiche du festival Fête comme chez vous !

Processus de création

1. Rencontre objet et sujet

Je suis sur la route de Velanne. Nous avons rendez-vous avec les autres artistes pour une reconnaissance. Mais c’est surtout avec toi que j’ai rendez-vous. Toi Velanne et tes surprises. Sur la route, mon attention est intensifiée par la couleur de tes champs, couleurs complémentaires aux vaches qui y habitent. J’imagine un village ancien avec ses vieilles pierres, sa fontaine, sa route cabossée et la boue sur les chemins.

Je me gare, retrouve les autres avec un intense plaisir puis nous partons en repérage. Mon imagination m’a joué des tours. Le parking est flambant neuf, il ressemble à celui des nouveaux lotissements, tout est neuf comme si une tentacule de la ville avait réussi à franchir les montagnes pour toucher ce petit coin de campagne que j’imaginais d’un autre temps.

Et je te vois toi : l’Arrêt de bus du centre ! Que fais-tu là ? Tu es le même que ceux de la métropole. Ça va ? Tu prends des vacances ? Tu as tout l’air d’un touriste. C’est à partir de notre rencontre que je veux laisser parler mon corps.

Je te dis « À tout de suite » et je pars marcher dans le village. Je découvre les vieilles pierres imaginées, les fermes en pisé, la boue… et un nouvel être qui m’inspire. Nous nous regardons, elle me permet d’entrer dans ses yeux et elle me souffle qu’un jour nous ne serons plus là, plus comme cela, plus ici. Sans rien de grave ni d’inquiétant, l’air tranquille et ruminant simplement. La vache.

Après ces rencontres objet et sujet, c’est une évidence : j’incorpore nos rencontres.

2. L’immersion : explorer et me laisser surprendre

C’est le premier jour de notre immersion. Je suis prête à donner et à recevoir. Je me prépare en pensant à ce moment. De longues heures durant à construire mon masque. Qu’est-ce que j’en ferai ? Je ne sais pas. Pas encore car je suis trop loin pour l’instant.

Puis je m’applique joyeusement à la « dérive » avec un enregistreur dans ma poche. Je glane des sensations. Je touche, je me laisse toucher et surprendre. Je danse dans et avec toi en influence réciproque. J’entre et dessine ma si chère carte sensible… Je prends soin du geste. Elle se transformera en partition chorégraphique.

On se refait pas : je me laisse embarquer dans la théorie BÉTON… et pendant ce temps Georges Perec me souffle à l’oreille intime Espace suite et fin. Je le remercie !

« J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources : mon pays natal, le berceau de ma famille, la maison où je serais né, l’arbre que j’aurai vu grandir (que mon père aurait planté le jour de ma naissance), le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts…
De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête.
Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés. Il n’y aura plus écrit en lettre de porcelaine blanche collées en arc de cercle sur la glace du petit café de la rue Coquillière : « Ici, on consulte le Bottin » et « Casse-croûte à toute heure ».
L’espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l’emporte et ne m’en laisse que des lambeaux informes :
Ecrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes. »

Georges Perec, « Espèces d’espaces », extrait

… et danser ! Il s’agit donc de donner forme à cette rencontre puisque performer c’est donner forme à. Y’a plus qu’à !

Remerciements

Merci à toi Julien Paget, comparse qui a pris de son temps, pour monter la bande sonore à partir des sons glanés en dérive et en a cherché avec moi leurs musicalités.
Merci à toi John Fu pour ton regard saisissant !
Et merci aux organisateurs de Fête comme chez vous !